La Spezia, 13/14 avril 1943

14/15 avril 1943, 1h50,
Combat du Wellington 431-T

Wellington Mk. X  HE201  SE-T  No. 431 (R.C.A.F.) Sqdn., Burn

Sgt. J. Morton (Pilot, R.A.F.V.R. 1095060)
Sgt. D. F. Rands (Nav., R.A.F.V.R. 1335271)
Sgt. R. Holmes (B/A., R.A.F.V.R. 1477342)
Sgt. G. S. Milner (W/Op., R.A.F.V.R. 1292164)
Sgt. T. Bell (R/G., R.A.F.V.R. 1085409)

Messerschmitt Bf 110  ?

?

 

*  *  *

Des événements survenus lors du raid contre Stuttgart, le Bomber Command mit en avant le combat du Wellington 431-T, dont l'équipage affirmait avoir détruit deux Messerschmitt 110. L'affaire fut relatée dans de nombreux documents internes[1], avec l'objectif manifeste d'insuffler aux navigants plus de confiance dans leur capacité à vaincre la chasse de nuit allemande, même face à une certaine adversité. Le Monthly Supplementary Narrative of Operations 4/43, qui recense les revendications des équipages de bombardier pour avril 1943, rapporte ainsi[2] :

"4 Group. Le Wellington "T" du No. 431 Squadron a été attaqué par 2 Me.110 à Château-Salins à 1h50, altitude 10 000 pieds. Le premier avion ennemi (ou E/A pour enemy aircraft) a attaqué à 300 m, le mitrailleur arrière a répondu par une courte rafale qui a touché l'E/A dans le nez, suivie d'une plus longue rafale qui l'a fait exploser avec un flash brillant. L'E/A est revendiqué comme détruit. Le second Me.110 a attaqué de l'arrière au-dessous. Pour éviter la répétition d'attaques par-dessous le Wellington a piqué jusque 300 pieds. L'E/A a tiré et le mitrailleur arrière a ouvert le feu à 200 m, observant des impacts sur le moteur droit. L'E/A est passé au-dessus avec des flammes sortant de son moteur, on l'a vu se retourner et disparaître derrière quelques arbres. Cet E/A est revendiqué comme probablement détruit."

Abattre deux chasseurs de nuit, de surcroît sur un Wellington, un modèle de bombardier proche de l'obsolescence, n'est pas un mince exploit. Cependant, l'état actuel de nos connaissances de la Nachtjagd incite à prendre ce récit avec des pincettes, d'autant qu'il pose des questions qui reviennent souvent. Premier problème : on ne trouve rien dans les listes de pertes de la Luftwaffe qui corresponde à ces deux revendications. En outre, il est établi que les chasseurs de nuit allemands du début 1943 opéraient isolément, chacun dans sa zone de chasse (parfois deux dans la même zone, mais indépendants l'un de l'autre). Le 431-T n'aurait-il rencontré qu'un seul Bf 110? C'est probable en effet! L'éclair éblouissant observé par les aviateurs britanniques ne résulterait alors pas de l'explosion du Messerschmitt et celui-ci, bien que touché à la fin du combat, aura réussi à se redresser. Rentré à sa base sur un moteur, les dommages qu'il a subis sont sans doute trop légers pour qu'un compte rendu de perte en soit fait. La localisation du combat interroge également : Château-Salins, à 25-30 km au nord-est de Nancy, n'est couvert par aucune zone Dunaja. La petite ville se situe nettement à l'est du N.J.R.F. 9[3], à environ 125 km de la zone 9A et à 65 km de la station "Muffel", dont on ne sait pas si elle était déjà en service à la mi-avril 1943. La navigation de nuit étant un art difficile, peut-être le Wellington se trouvait-il beaucoup plus à l'ouest que ne le croyait son équipage.

Afin d'approcher les faits, voyons ce que nous apprennent les sources d'époque!

*  *  *

Le Wellington Mk. X 431-T (serial HE201) sert au sein d'une unité de la Royal Canadian Air Force, mais son équipage est exclusivement britannique. Il a été formé à la No. 16 O.T.U.[4] d'Upper Heyford, puis a rejoint le No. 431 (R.C.A.F.) Squadron à Burn, probablement en décembre 1942. Je ne connais de ces cinq hommes que des fragments de vie :

  • les parents de John Morton, 22 ou 23 ans, habitent Kearlsey, dans le Lancashire ;
  • le navigateur, Douglas Findlay Rands, a été éduqué à la Collyers Grammar School de Horsham entre 1925 et 1936 ; il est marié, approche la trentaine et vient de Billingshurst (Sussex) ;
  • marié lui aussi, Robert Holmes, le bombardier, n'a que 19 ou 20 ans et habitait auparavant Torquay (Devon) ;
  • lorsque George Sabathu Milner est porté manquant en novembre 1943, sa mère et sa fiancée visitent le 431 (alors basé à Tholthorpe) pour s'enquérir de son sort ; le C.O. et l'Adjutant du squadron ne peuvent malheureusement qu'essayer de réconforter les deux femmes ;
  • Thomas Bell, qui travaillait comme plombier à Newcastle-upon-Tyne, a reçu sa qualification de mitrailleur à la No. 9 A.G.S.[5] de Penrhos, avant de passer par la No. 16 O.T.U.

Sgt. John Morton

John Morton [via le site IBCC].

Le No. 431 Squadron, nouvellement créé le 11 novembre 1942, n'est pas encore opérationnel lorsque Morton et ses hommes arrivent à Burn. L'entraînement des équipages et des personnels au sol, ainsi que la préparation des appareils[6], va encore demander plus de deux mois. La première opération, dans la nuit du 2/3 mars 1943, est plutôt facile. Dans le jargon de la R.A.F., il s'agit d'aller planter des légumes (vegetables) dans un jardin (garden) appelé Nectarines 1 ; comprendre : larguer des mines à l'ouest des îles frisonnes[7]. L'équipage Morton y participe avec succès, puis reprend la binette la nuit suivante sur le même objectif. Cette fois, leur Wellington X (HE199  SE-R) est attaqué du dessous au moment du largage par un adversaire invisible, dont les projectiles détruisent le circuit hydraulique et allument dans la carlingue un incendie vite maîtrisé. Depuis sa tourelle arrière, le Sergeant Bell tire une rafale de 5 secondes, qui touche le ventre d'un Junkers 88 en train de dégager à gauche, tandis que le bombardier s'échappe en piquant sous lui. Les aviateurs britanniques sont indemnes, mais doivent poser le R-Robert train rentré[8] à Burn où le mitrailleur revendique un chasseur de nuit endommagé. Après ce raid mouvementé, l'équipage effectue sans incident une troisième sortie Gardening sur Nectarines 1 le 11/12 avril. L'attaque de Stuttgart est leur quatrième opération et la première au-dessus de l'Allemagne[9].

Le 14 avril 1943, le 431-T a décollé de Burn à 21h10. Aucun incident notable n'est venu émailler le vol vers Stuttgart, qui est bombardé à 1h10, à la toute fin du créneau alloué aux Wellington, d'une altitude de 15 000 pieds (4500 m). La caméra embarquée a correctement fonctionné, mais les photos n'enregistrent que les traces des incendies et on ne saura pas les localiser. Après le largage des bombes, Morton a mis son appareil en léger piqué pour gagner de la vitesse, avant de virer à l'ouest, environ deux minutes et demie plus tard. Il est maintenant 1h50 ; le T-Tommy se situe en 48°50'N 06°30'E, soit dans la région de Château-Salins, au nord-est de Nancy. Il suit exactement la route prévue et vole à la vitesse indiquée de 160 miles/h, selon un cap magnétique de 281°. Son altimètre indique 10 000 pieds (3000 m)[10]. La lune éclaire le ciel nocturne sur l'avant gauche du bombardier. Quelques instants plus tôt, un membre de l'équipage a observé quatre lumières blanches disposées en carré un peu à droite ; au passage de l'avion, il lui a semblé qu'elles s'alignaient parallèlement à sa trajectoire, comme pour guider un chasseur.

Isolé dans la tourelle de queue F.N.20 exiguë et glacée, le Sergeant Bell actionne sans cesse les deux poignées du guidon de commande pour parcourir de son affût quadruple les directions d'où un ennemi pourrait surgir. Mais c'est Milner, l'opérateur radio, la tête dans l'astrodôme, qui distingue tout à coup une forme suspecte à environ 400 m sur l'arrière droit, là où l'obscurité est la plus forte. Son avertissement fuse sur le téléphone de bord. Morton vire à droite, tandis que Bell envoie une brève volée de balles sur l'assaillant – c'est un Messerschmitt 110 – qui passe sous le bombardier, sans ouvrir le feu. Après quelques instants, il revient à la charge par l'arrière gauche au-dessous, tire rapidement à 400 m et dégage à gauche. Une troisième attaque se dessine quand le chasseur réapparaît sur l'arrière gauche au même niveau ; il ouvre le feu à 300 m. Prévenu, Morton entame un corkscrew et, pendant que le Wellington bascule à gauche, Bell encadre l'Allemand d'une courte rafale, observant des impacts sur son nez. Il racontera plus tard : "J'ai continué de tirer et ensuite le chasseur a semblé exploser. Il y a eu un grand flash blanc et je n'ai rien pu voir pendant quelques secondes. Mais l'opérateur radio[11], qui suivait le combat depuis l'astrodôme, a crié "tu l'as eu!"".

Parmi les observations localisées (plots) rapportées par les aviateurs britanniques participant au raid, deux peuvent être reliées au combat du 431-T. A 1h55, le Wellington 426-V du Flight Lieutenant J. G. McNeill navigue à 1000 pieds (300 m)[12] au nord de Nancy, quand son équipage observe un avion brûler en l'air, puis éclater en trois morceaux embrasés, qui dérivent lentement vers le sol (plot <1h55 426-V>). Deux minutes plus tôt, c'est un Lancaster du No. 5 Group rentrant à 10 000 pieds, 25 miles (40 km) à l'ouest de Strasbourg, qui a noté un appareil en flammes à la même altitude. Ce second plot (<1h53 5Gp>) se situe à près de 60 km de Château-Salins, mais il n'y a rien à quoi le rattacher, excepté au 431-T. En outre, la présence d'un Lancaster à 40 km dans l'ouest de Strasbourg, 25 km au sud de la route prévue, surprend[13]. Se pourrait-il qu'une erreur de transcription ait transformé "Sarrebourg" en "Strasbourg"? Si c'est le cas, notre Lancaster se retrouve 10 km au sud de Château-Salins, ce qui réconcilie le plot <1h53 5Gp> avec le déroulement du combat.

Carte : le combat du Wellington 431-T

La région du combat du Wellington 431-T.

Les bombardiers sont sur le chemin du retour (ligne blanche) et volent vers l'ouest. L'arc de cercle jaune sur la gauche matérialise les limites de la zone Dunaja "Muffel". La localisation du début de l'engagement à 1h50 est figurée par un triangle rouge, celle des plots <1h55 426-V> et <1h53 5Gp> par des cercles rouges. Concernant <1h53 5Gp>, on visualise ici qu'il fait sens de corriger sa position à 25 miles dans l'ouest de Sarrebourg, plutôt que de Strasbourg.

Le plot <1h56 1Gp> en vert correspond à un rectangle de lumières blanches très brillantes, observé à 20 miles au sud-ouest par un appareil du No. 1 Group. Même si les lieux indiqués ne concordent pas, ces lumières (à gauche de la route) ont probablement à voir avec les 4 feux blancs disposés en carré (mais à droite de la route) rapportés par l'équipage du 431-T peu avant le début du combat.

L'équipage du T-Tommy est persuadé avoir abattu le chasseur de nuit. Pourtant, la tension ne retombe pas car on n'entend plus le mitrailleur arrière à l'intercom. Les aviateurs disposent d'un système de secours et Morton voit bientôt s'allumer à droite de ses instruments de vol la lampe d'appel[14] qui atteste que Bell est toujours avec eux. Le téléphone de bord relève de l'opérateur radio ; le pilote demande donc à Milner d'aller vérifier l'installation dans la queue et au bombardier de prendre sa place sous l'astrodôme. Holmes a juste le temps de s'installer qu'un Messerschmitt 110 surgit par l'arrière au-dessous, crache quelques projectiles – qui se perdent – et dégage à droite. Coupé du reste de l'équipage, Bell doit pianoter du Morse sur sa lampe d'appel pour commander le break au bon moment. Le code est simple : succession de traits, à droite ; point-point-point-point…, à gauche. Et le chasseur revient à la charge, cette fois de l'arrière droit. Trait-trait-trait-trait! Le mitrailleur lui envoie une courte giclée et il dégage à 200 m sans avoir tiré. Afin de protéger son ventre vulnérable, le bimoteur anglais a constamment manœuvré en piqué ; à cet instant, il n'est pas à plus de 300 pieds (100 m) du sol. La sixième attaque vient de l'arrière gauche haut. Voulant sans doute en finir, le 110 fait feu d'une longue rafale qui passe au-dessus. Bell retient son tir et ne riposte qu'à 200 m. Des impacts illuminent le moteur droit du chasseur ; celui-ci conserve sa trajectoire et survole le Wellington en crachant des flammes de sa nacelle touchée. Il bascule alors sur le dos, avant de disparaître derrière des arbres. A si basse altitude, il n'aura certainement pas pu redresser!

Durant ces minutes, on devine que Milner n'a pas été à la fête, balloté sur l'étroite passerelle qui mène à la tourelle arrière, s'agrippant aux mains courantes en corde et aux entretoises de la structure géodésique, sans rien savoir du combat qui se joue à l'extérieur. Sous le faisceau de sa lampe, il finit par repérer un câble arraché et peut rétablir le lien vital avec le mitrailleur de queue. C'est un parachute mal arrimé, catapulté à travers la carlingue par les évolutions du Wellington, qui est venu couper le fil du téléphone de bord.

Au total, l'engagement aura duré une dizaine de minutes. Il faut maintenant reprendre de l'altitude, tenter de faire le point et corriger la navigation. Le vol retour sera encore long avant que le T-Tommy ne se pose enfin à 5h10 sur un terrain de dégagement, à l'issue d'une sortie de 8 heures. En inspectant l'appareil, on découvre qu'une balle a percé l'aile gauche ; mais le Sgt. Bell revendique deux chasseurs allemands au tapis. Il a brûlé environ 1200 cartouches, soit 15 secondes de tir.

*  *  *

On l'a dit, le Wellington 431-T n'a certainement croisé qu'un unique Bf 110 qui a regagné sa base avec un moteur en carafe. Comment alors expliquer l'explosion rapportée par plusieurs témoins? Le flash blanc aveuglant dont parle Bell nous donne un indice. Il évoque en effet un dispositif pyrotechnique plutôt que la destruction d'un avion, souvent associée à une boule de feu rougeoyante. Serait-ce une fusée éclairante que le chasseur aurait tirée ou qui aurait éclaté sous les balles du bombardier? Reste que cela ne rend pas compte de l'observation du 426-V à 1h55 qui paraît décrire la chute d'un appareil en flammes perdant ses deux ailes. Le constat s'impose à nouveau que nombre des phénomènes décrits dans les rapports du Bomber Command peinent à trouver une explication ; d'évidence, la confusion qui nimbe les actions de guerre aérienne est décuplée lors des opérations nocturnes. Pour ce qui est de la localisation du combat, les plots <1h55 426-V> et, dans une moindre mesure, <1h53 5Gp> tendent à confirmer le secteur au nord/nord-est de Nancy, où la Nachtjagd n'est pas censée opérer. En lisant le Combat Report, on est cependant frappé par la grande maladresse du pilote allemand qui ne réussit pas à réaliser une passe de tir efficace et dont la visée est particulièrement mauvaise. Peut-être faut-il y voir le signe d'une rencontre fortuite avec un appareil de seconde ligne, dont l'équipage n'a pas été entraîné à la chasse de nuit.

Revendiquer un Ju 88 endommagé et deux Bf 110 abattus au cours de ses quatre premières opérations est une performance qui aurait dû valoir une Distinguished Flying Medal au Sergeant Bell. Ce ne fut pas le cas, sans doute parce qu'il se fit porter pâle début mai, retrouva brièvement son équipage pour une opération le 28/29 (sa 6e), avant d'être muté à Snaith pour inaptitude médicale à compter du 31 mai 1943. Sa trace se perd ensuite dans les archives de la R.A.F. Ses ex-équipiers effectuèrent alors plusieurs sorties avec des mitrailleurs de remplacement. A la mi-juin, l'un d'eux, le Flight Sergeant M. G. Clynes, Irlandais et vétéran d'Afrique du Nord, prit le poste de manière définitive. Le 15 juillet 1943, le 431 rejoignit le No. 6 (R.C.A.F.) Group sur la base de Tholthorpe pour entamer sa conversion sur Halifax V. C'est à la No. 1659 H.C.U. de Topcliffe que l'équipage Morton se forma sur le nouvel appareil en juillet-août, intégrant à cette occasion le Sergeant J. G. E. Laflamme (mécanicien navigant) et le Pilot Officer G. H. Rich (mitrailleur supérieur), tous deux canadiens. L'escadron redevint opérationnel, cette fois sur quadrimoteurs, début octobre et Morton fut nommé Pilot Officer[15]. Malheureusement, un chasseur de nuit eut raison de leur appareil (Halifax V  LK973  SE-E) au cours d'un raid sur Francfort dans la nuit du 25/26 novembre 1943 et les sept hommes y laissèrent la vie. Avec eux tomba également le Flying Officer D. R. P. Short, un pilote de la R.C.A.F. en vol de familiarisation.

Les archives canadiennes ont conservé plusieurs dizaines de photographies des retours de mission aux Nos. 431 et 434 (R.C.A.F.) Sqdns., à Tholthorpe jusqu'au 10-11 décembre 1943, puis à Croft[16]. La plupart datent d'une période entre l'automne 1943 et le début 1944 où les pertes ont été lourdes, et beaucoup de ceux qui y figurent allaient trop vite disparaître.

Tholthorpe, 19 novembre 1943

Les deux clichés présentés ici nous montrent l'équipage Morton dans les premières heures du 19 novembre 1943.

Au-dessus [LAC PL 22315 / UK 6255, via IBCC] : à gauche : John Morton (pilote), nouvellement nommé P/O. ; assis sur la table : P/O. George Rich (mitrailleur supérieur) ; debout devant lui : F/O. Douglas Wiley (qui remplace Clynes, indisponible, au poste de mitrailleur arrière) ; assis, une tasse à la main : P/O. George Milner (opérateur radio) ; debout à droite : F/Sgt. Malcolm McMillan (pilote en vol de familiarisation).

Ci-dessous [probablement PL 22316 / UK 6256] : on reconnaît au centre le Sgt. George Laflamme (mécanicien navigant) ; les deux autres aviateurs sont sans doute, à gauche, le P/O. Douglas Rands (navigateur) et, à droite, le F/Sgt. Robert Holmes (bombardier).

Les huit hommes, encore en tenue de vol, se sont posés à 0h50, après une sortie exténuante de plus de huit heures sur Mannheim/Ludwigshafen à bord du Halifax V 431-O (serial LK898). Ils sont heureux d'en être encore revenus ; six d'entre eux n'ont plus qu'une semaine à vivre.

Tholthorpe, 19 novembre 1943

Le 18/19 novembre 1943 marque le début de la bataille de Berlin. Cette nuit-là, le Bomber Command engagea 440 Lancaster et 4 Mosquito contre la capitale du Reich, ne subissant que 2,0% de perte (9 appareils). Dans le même temps, une seconde attaque était menée sur Mannheim/Ludwigshafen par 395 quadrimoteurs (248 Halifax, 114 Stirling et 33 Lancaster), dont 23 furent portés manquants (5,8%). Confrontées à un ciel couvert au-dessus de Berlin et à une météo se dégradant sur Mannheim, les deux opérations ne donnèrent que de médiocres résultats. Au surplus, une mauvaise prévision des vents vint compliquer la navigation et de nombreux bombardiers durent se dérouter à court d'essence.

La base de Tholthorpe contribua au raid sur Mannheim avec 15 Halifax V du No. 431 Sqdn. et 16 du 434 ; deux appareils de chaque escadron ne rentrèrent pas.

Quant au T-Tommy, livré neuf au 431 à Burn en décembre 1942, il prit le départ pour un total de 15 opérations entre le 3 mars et le 2 juillet 1943, la plupart avec l'équipage du Sergeant, puis Flight Sergeant Morton. Huit d'entre elles furent réussies, les autres étant interrompues pour des problèmes techniques ou un mitrailleur arrière malade. Avec le passage de l'escadron sur Halifax, le Wellington HE201 fut reversé le 16 juillet 1943 à la No. 82 O.T.U. stationnée sur les bases d'Ossington et Gamston. Il devait y contribuer à la formation de nouveaux équipages, tâche moins glorieuse, mais pas sans risque! De fait, le 12 octobre suivant, l'appareil subit une panne du moteur gauche juste après un décollage de Gamston. L'instructeur aux commandes, le Flying Officer J. Coughlan, D.F.M., tenta un atterrissage de fortune, mais le HE201 percuta des arbres, faisant trois morts, dont son pilote, et quatre blessés. Alors Sergeant au No. 166 Squadron, John Coughlan avait été décoré de la Distinguished Flying Medal pour avoir ramené à bon port le Wellington III codé AS-R (serial Z1686), sévèrement touché par la Flak au-dessus de Stuttgart le 14/15 avril 1943…

 

JT, 19/2/23

 

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Sources
  • O.R.B., No. 431 Sqdn., TNA AIR 27/1857.
  • O.R.B., Snaith, TNA AIR 28/717.
  • Combat Reports, No. 431 Sqdn., TNA AIR 50/259.
    On y trouve le Combat Report rédigé avec l'équipage par le Squadron Gunnery Leader.
  • Air Ministry Bulletin No. 9986, 16/4/43, via le site Texas ScholarWorks.
    Ce bulletin de presse fait suite à une interview du Sgt. Bell.
  • Summary of Encounters with Enemy Aircraft – 1st to 30th April, 1943, NAA Item 3504816.
    Reprise à l'identique du Combat Report. Le Summary of Encounters with Enemy Aircraft d'avril 1943 est absent des archives britanniques, mais un exemplaire en a été conservé en Australie dans les dossiers du No. 466 (R.A.A.F.) Sqdn.
  • No. 4 Group Tactical Report No. 13 – April 1943, 9th May, 1943, TNA AIR 14/623.
    Version plus courte du Combat Report.
  • No. 4 Group Monthly Summary of Operational and Training Activities – April, 1943, 11th May, 1943, TNA AIR 25/101.
    Reproduction presque à l'identique du texte précédent.
  • Monthly Supplementary Narrative of Operations 4/43 – Enemy aircraft destroyed or damaged in combat with aircraft of Bomber Command during April, 1943 – 15/5/43, TNA AIR 50/294.
    Cité en début de page.
  • Bomber Command Quarterly Review No. 5 – April-June 1943, TNA AIR 14/3447.
    Autre récit court inspiré du Combat Report.
  • Raid plots – Night [Forms 'Z'], April 1943, TNA AIR 14/3217.
  • The Royal Canadian Air Force at War 1939-1945, Larry Milberry & Hugh A. Halliday, Canav Books, 1990, p312.
    Rédaction plus accessible, à partir des sources ci-dessus.
  • Site Internet Aircraft accidents in Yorkshire.

 

 

[1] Voir les sources en fin d'article. Le 16 avril, le service de presse du ministère de l'Air (l'Air Ministry News Service) proposa un papier intitulé "Un Wellington défait deux Messerschmitt". Mais le lendemain, c'est la double attaque de la nuit contre Pilsen et Mannheim qui fit la une des journaux et l'histoire du Wellington 431-T passa au second plan.

[2] Le texte a été légèrement adapté pour le rendre plus accessible.

[3] Nachtjagdraumführer 9 ou secteur de chasse de nuit 9, le plus proche de Château-Salins sur la route des bombardiers.

[4] O.T.U. : Operational Training Unit (unité d'entraînement opérationnel).

[5] A.G.S. : Air Gunnery School (école des mitrailleurs).

[6] La version "Mark X" du Wellington vient d'entrer en service et souffre de quelques défauts de jeunesse.

[7] Les zones maritimes ennemies propices au mouillage de mines aériennes – cibles des opérations Gardening (jardinage) – sont désignées en code par des noms de fruits et légumes!

[8] Le train du Wellington est actionné hydrauliquement.

[9] Comme c'est l'habitude, Morton a participé à au moins une opération comme 2nd Pilot avec un équipage expérimenté (Lorient le 16/17 février sur un Halifax du No. 51 Sqdn. de Snaith).

[10] On peut extrapoler de ces paramètres que le Wellington vole à 191 miles/h (310 km/h) par rapport à l'air et, faisant face à un vent du 250° d'environ 20 miles/h (30 km/h), sa vitesse sol doit être de 173 miles/h (280 km/h).

[11] Le Combat Report note qu'il est lui aussi temporairement aveuglé.

[12] Le document original dit bien "1000 pieds", mais c'est très bas pour un Wellington qui rentre de Stuttgart et il manque peut-être un zéro : une altitude de 10 000 pieds (3000 m) serait en effet plus vraisemblable.

[13] Au retour, les équipages – nombreux, mais imprudents – qui cherchent à couper au plus court, volent au nord de la route spécifiée par le Bomber Command et on ne voit pas pour quelle raison un navigateur s'imposerait un trajet plus long au-dessus du territoire ennemi en se déportant au sud.

[14] Chaque poste d'équipage est doté d'un petit boitier intégrant une lampe et un bouton. Lorsque l'un des équipiers appuie sur le bouton, les lampes des boitiers de tous les autres s'allument. Cela permet d'attirer l'attention d'un aviateur qui serait déconnecté de l'intercom (par exemple, l'opérateur radio quand il utilise son émetteur-récepteur H.F.), ou de communiquer en Morse si le téléphone de bord est coupé.

[15] Rands et Milner avaient été précédemment promus Pilot Officers, Clynes Warrant Officer, décoré de la C.G.M., et Holmes Flight Sergeant.

[16] Voir par exemple le site RCAF 434 Bluenose Squadron 1943-1945.