La Spezia, 13/14 avril 1943

Prologue : au-dessus de la France

Lancaster en vol de nuit

Filmer un avion en vol de nuit relève de l'impossible. Pour rendre compte des opérations du Bomber Command, les opérateurs des actualités britanniques ont recours à une technique dite de la nuit américaine où un jeu de filtres donne en plein jour l'illusion de l'obscurité. C'est le cas ici avec ce Lancaster qui se détache – de façon assez peu réaliste[1] – sur une couche de nuages. [IWM AMY 450.]

La nuit était tombée ; une nuit d'occupation remplie des misères et des humiliations des jours passés, une nuit de guerre agitée de l'angoisse des lendemains.

En ces temps désagréables, l'espoir prenait des formes étranges. C'était à cet instant précis un murmure imperceptible qui tombait des étoiles, effleurait les arbres, glissait sur les prairies et les champs. Les barrières du black-out – portes fermées, volets clos et rideaux tirés – ne l'arrêtaient pas. Le mince ronronnement s'infiltrait dans les maisons, invitant au silence… un avion!

La rumeur enflait doucement et gagnait en force. Bientôt, le doute n'était plus permis : les escadres anglaises volaient vers l'Allemagne. Le ciel éclairé par la lune pouvait paraître vide, le ronflement puissant de centaines de moteurs révélait les bombardiers invisibles. Il y avait là-haut des amis qui risquaient leur vie! Et on se sentait un peu moins seul.

Annoncé par le vrombissement de milliers de chevaux-vapeur, un grand quadrimoteur déboulait parfois à faible hauteur. Alors, pendant un bref moment, l'espérance de jours meilleurs, du retour des absents, de la fierté retrouvée, presque une promesse de paix, balayait tout.

Appointment in London (1953)

Les prises de vue sont évidemment beaucoup plus faciles en studio. Extrait du film "Appointment in London" (1953), le W/C. Tim Mason (Dirk Bogarde, à gauche) et le F/Lt. Bill Brown (Bill Kerr, à droite) conduisent leur Lancaster du No. 188 Sqdn. (fictif) sur un objectif en Allemagne, vers août 1943.

Ce film de Philip Leacock nous offre la reconstitution la plus réaliste d'une opération du Bomber Command jamais produite au cinéma. L'histoire en a été écrite par John Wooldridge (1919-1958) qui a aussi contribué au scénario et composé la musique. En 1943, cet homme aux multiples talents était le W/C. John de Lacy Wooldridge, D.S.O., D.F.C. & Bar, D.F.M., pilote crédité de 97 sorties opérationnelles sur Manchester, Lancaster et Mosquito.

Si quelques avions cherchaient une protection contre les chasseurs de nuit dans la proximité du sol, la plupart naviguaient à plusieurs kilomètres d'altitude. Environ 2600 aviateurs montés sur 400 machines peuplaient le ciel.

La base de cette éphémère société céleste était l'équipage : cinq hommes sur les bimoteurs Wellington, sept sur les quadrimoteurs Lancaster, Halifax et Stirling, six ou huit quand une bleusaille embarquait pour recevoir le baptême du feu ou une huile pour assister aux premières loges à la bomber offensive. Chaque équipage volait seul, caché au monde dans l'obscurité.

De temps à autre, une forme sombre, un reflet de lune, les flammes d'un échappement ou un remous provoqué par le sillage d'un autre appareil rappelaient l'existence du groupe. La Royal Air Force employait une métaphore fluviale pour décrire les formations engagées dans une opération de nuit : le stream, un flot de bombardiers fait de gouttes indépendantes qui coulent toutes dans un même lit immatériel. C'était la tâche des navigateurs de tracer le cours de ce fleuve aérien et de garder leurs équipiers dans la sécurité relative du troupeau.

The Tail Gunner (1946)

Le mitrailleur de queue (The Tail Gunner, 1946).

Isolé dans la tourelle arrière Boulton Paul Type E d'un bombardier quadrimoteur Halifax, ce mitrailleur de queue scrute la nuit sans cesser de manœuvrer son affût quadruple électro-hydraulique. La défense de l'appareil repose pour l'essentiel sur sa vigilance ; mais son poste exigu et exposé au froid est le plus inconfortable du bord, sans doute aussi le plus dangereux en cas de mauvaise rencontre.

Le peintre australien Dennis Adams (1914-2001) exprime ici la résolution de l'aviateur, dont le visage éclaire le tableau, face aux sombres incertitudes d'un vol de guerre. Par sa sobriété, cette œuvre dégage une force que n'avait pas une première version, plus colorée, réalisée en 1944. [Australian War Memorial ART25694, Canberra.]

Durant plus d'une heure, le défilé des machines volantes s'était poursuivi ; le calme revenait progressivement sur la campagne. Allait-on pouvoir dormir un peu avant le retour des avions, allégés de leurs bombes, ralliant l'Angleterre?

 

Les raids nocturnes de la R.A.F. ont toujours leur place dans l'imaginaire des Français. Ces lignes, qui s'inspirent de ce que racontaient les anciens, des films et des lectures de ma jeunesse, en témoignent. N'en doutons pas, cela est vrai! Mais l'histoire présente de multiples facettes…

 

*  *  *

 

 

[1] Enfin, c'est selon le réglage de votre écran ou de votre imprimante!