Le lendemain
Au matin du 15 avril, le maréchal de l'air Harris, à son habitude, arrive au quartier-général du Bomber Command à l'heure où ouvrent les bureaux…
Vers 8h00, le Wellington 196-W du Sergeant R. V. Rosser décolle de Tangmere pour regagner sa base de Leconfield. Au retour de Stuttgart, le bombardier s'est posé à 3h45 sur un aérodrome de la côte, après une sortie exténuante de presque 7 heures de vol. Alors qu'il prend de l'altitude, un moteur s'arrête et la machine plonge pour s'écraser à South Mundham, environ 4 miles (6,5 km) au sud-ouest de Tangmere. Les cinq hommes d'équipage sont tués sur le coup.
Lancaster alignés contre Stuttgart (1943). Artiste de guerre engagé dans la R.C.A.F., Carl Schaefer (1903-1995) réalise à la fin de 1943 ce dessin sur papier qu'il intitule "Marshalling Lancasters against Stuttgart". Les Mk. II que l'on y voit appartiennent aux Nos. 408 et 426 (R.C.A.F.) Sqdns. de Linton-on-Ouse[1] et des mécaniciens les préparent pour l'opération du 7/8 octobre 1943 où la capitale du Wurtemberg est la cible de 343 Lancaster (qui ne perdront que quatre des leurs). Après les raids de mars et avril 1943, Stuttgart allait ainsi endurer de nombreuses autres attaques du Bomber Command et de la 8th Air Force des Etats-Unis : en mai 1945, la ville sera détruite à 68% et comptera 4562 tués. [Musée Canadien de la Guerre 19710261-5169, Ottawa.] |
Au même moment, de l'autre côté de la mer, des Français et des Belges découvrent que la guerre a bouleversé un pré, un champ, un bois ou une lande du voisinage. Les épaves de la nuit sont venues se fracasser au hasard des campagnes. Ici, un cratère large et profond, que l'eau envahit ; là, une étendue de débris ; ailleurs, des morceaux d'avion accrochés dans les arbres. Des soldats allemands traînent au milieu de cette désolation. Dans l'air flottent des odeurs d'essence, de caoutchouc brûlé et peut-être d'autre chose, que personne n'ose nommer. L'œil s'arrête sur des assemblages de métal tordu, aux bords déchirés ou fondus, maculés de terre, qui répandent leurs entrailles de tuyaux et de câbles. Il faut un effort pour identifier les organes de la machine disloquée : plan d'aile orphelin, fuselage éventré, bouts d'empennage, pales d'hélice, moteurs, … Parmi ce fatras, on reconnait soudain un corps désarticulé, puis un second. Comment va-t-on pouvoir les dégager du métal et de la terre dont ils semblent faire partie? Un aviateur gît parfois un peu plus loin, enfoncé dans le sol, près d'un parachute qui n'a pas eu le temps de se déployer. Les civils affligés s'interrogent : qui sont ces jeunes gens, parfois à peine sortis de l'adolescence? Pour quoi, pour qui ont-ils donné leur vie? D'où viennent-ils? Un nom lu sur une manche d'uniforme donne quelquefois la réponse et on pense aux parents au Canada, aux USA, en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Voilà le prix bien réel d'une libération tant rêvée! Ces morts tombés du ciel sont en passe d'être adoptés par les habitants d'un village dont, vivants, ils n'ont jamais entendu parler. Ce seront des foules nombreuses assistant aux funérailles, des sépultures couvertes de fleurs, mais aussi des arrestations par la police allemande. La paix revenue, des liens vont se nouer avec les familles des aviateurs qui souvent feront le voyage pour visiter les tombes et rencontrer les témoins. Soixante-quinze ans plus tard, le souvenir demeure, même si les acteurs de l'époque ne sont plus.
Tombé à La Neuvillette, le P/O. Ian Mackenzie est enterré par les Allemands le 15 avril à 13h dans une tombe anonyme du cimetière communal. Il est le premier aviateur allié tué dans la région de Reims et son sacrifice suscite de nombreuses manifestations de sympathie, au grand dam des autorités d'occupation. Très vite, quelques habitants organisent une souscription clandestine pour l'érection d'un monument. Il faut cependant attendre juin 1955 pour son inauguration ; elle rassemble deux mille personnes et Pierre Clostermann, député de la Marne, y fait un discours. Si le corps du jeune Australien – identifié à la Libération – a d'abord été transféré au cimetière de Champigneul, puis à celui de Clichy, il n'est pas oublié des Rémois qui se souviennent chaque 8 mai, anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans cette rue Jean Mackenzie. [Photo JT.]
JT, 21/8/19.
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[1] En avril 1943, ces deux escadrons volent respectivement sur Halifax depuis Leeming et sur Wellington à Dishforth. Une note au dos du dessin précise que les bombardiers sont ainsi rassemblés en cas de décollage tardif, sinon ils démarrent de leurs aires de parking dispersées autour de l'aérodrome.