La Spezia, 13/14 avril 1943

Nuit du 13 au 14 avril 1943,
Attaque du convoi P.W. 323 devant Manacle Point, entre 0h20 et 3h20

Le 13 avril 1943, deux avions de reconnaissance de la Luftwaffe partis de Saint-Brieuc repèrent un convoi côtier britannique qui fait route à 12 nœuds et devrait doubler le cap Lizard durant la nuit. Les pilotes comptent 22 bâtiments marchands, dont deux grands pétroliers, escortés par deux destroyers et trois chalutiers armés. Les conditions météo sont favorables et la 5. S-Flottille de Cherbourg s'est pré-positionnée dans l'Aber-Vrac'h avec huit vedettes lance-torpilles.

Désignés Schnellboote ou S-Boote dans la Kriegsmarine, ces bateaux rapides et très marins ont un fort pouvoir de nuisance sur le cabotage anglais. Les Allemands appareillent dans la soirée en deux groupes. Les S 84 (Leutnant zur See Pillet) et S 116 (Oberleutnant zur See Goetschke) regagnent Cherbourg, sans doute à la suite d'une avarie[1]. Les six autres vedettes sortent de l'Aber-Vrac'h aux environs de 21h00, puis s'élancent à 30 nœuds vers le nord et la côte de la Cornouaille. La 5. S-Flottille est commandée par le Korvettenkapitän Klug. Pour cette sortie, elle forme trois sections susceptibles d'opérer indépendamment :

  • S 90 (Oberleutnant zur See Stohwasser), où a embarqué le chef de flottille, et S 121 (Oberleutnant zur See Johan Konrad Klocke) ;
  • S 112 (Kapitänleutnant Karl Müller[2]) et S 65 (Oberleutnant zur See Sobottka) ;
  • S 81 (Oberleutnant zur See Wendler) et S 82 (Oberleutnant zur See Dietrich).

Le plan consiste à s'embusquer entre la terre et le chenal emprunté par les convois. Difficiles à détecter sur cette côte encombrée de récifs, les S-Boote pourront surprendre l'adversaire et le torpiller avant de s'esquiver à vitesse maximale.

Les mouvements des navires au sud-ouest de l'Angleterre sont suivis en permanence par les stations radar côtières qui transmettent leurs relevés au centre opérationnel du Plymouth Command. Dans la nuit du 13 au 14, vers 0h20, les informations reportées sur la carte de situation montrent des unités inconnues à 18 milles à l'est du cap Lizard. Trois formations britanniques sont alors localisées en baie de Lyme :

  • deux canonnières rapides, les M.G.B.[3] 324 et 330, patrouillent au sud d'Eddystone pour intercepter des ennemis qui tenteraient de s'infiltrer dans la baie depuis Cherbourg ;
  • le convoi P.W. 323, de Portsmouth à destination de Milford Haven, navigue à l'est des Manacles[4] ;
  • le W.P. 323[5], qui progresse en sens inverse (de Milford Haven à Portsmouth), a croisé le P.W. 323 peu auparavant et se trouve à 15 milles dans son nord-est.

Plymouth alerte l'escorte des deux convois et ordonne aux M.G.B. de rejoindre le secteur menacé. A 0h30, les dernières incertitudes sont levées : quatre groupes de E-Boats[6], en maraude à l'est du Lizard, s'approchent dangereusement du convoi de Milford Haven.

Le P.W. 323 rassemble six navires marchands, protégés par deux destroyers classe Hunt, les H.No.M.S.[7] Glaisdale (chef de l'escorte) et Eskdale de la marine royale norvégienne, et cinq chalutiers armés. A 0h50, le Glaisdale signale au convoi de faire demi-tour pour se réfugier à Falmouth. Il se porte quant à lui au-devant des assaillants qui se dérobent tant et si bien que le destroyer ne rend compte de l'engagement du combat que vers 1h35. Pendant ce temps, la paire S 90 / S 121 attaque le convoi et torpille l'Eskdale et le Stanlake, un cargo de 1742 tjb. Le P.W. 323 trace sa route malgré tout ; laissant ses éclopés en arrière, il réussit à gagner la sécurité du mouillage de Falmouth à 2h00. Dans son sillage, la M.L.[8] 180 vient secourir l'équipage norvégien de l'Eskdale, mais de nouvelles torpilles éventrent les coques des deux navires immobilisés, qui vont bientôt couler. Les S-Boote restent dans les parages du Lizard jusqu'aux alentours de 2h00, puis se retirent vers le sud-est, chassées par le Glaisdale qui ne peut les rattraper et perd le contact à 3h20.

Le H.M.S. Tanatside, un autre destroyer de la classe Hunt, appareille de Plymouth à 2h02 pour couper la retraite des Allemands. Les M.G.B. 324 et 330 patrouillent également la zone. Ce sera vain! Profitant des dernières heures d'obscurité, les S-Boote échappent aux recherches. Aucune d'elles n'a subi le moindre dommage ; les S 90 et S 121 rallient Cherbourg à 6h35, alors que les S 112, S 65, S 81 et S 82 sont entrées à Saint-Peter-Port, sur l'île de Guernesey, cinq minutes plus tôt. Les deux bimoteurs Bristol Beaufighter que la R.A.F. fait décoller à l'aube survoleront une mer vide d'ennemi.

Par la suite, quand la 5. S-Flottille eut le loisir d'analyser le combat[9], elle attribua l'immobilisation de l'Eskdale à la S 90 et sa destruction finale à la paire S 112 / S 65. Le Stanlake fut pareillement revendiqué par la S 121 et par les S 90 / S 82. Du côté de la Royal Navy, le bilan était sans appel : un destroyer et un cargo à zéro! Avec l'expérience, les Alliés apprendront que la lutte "Anti-E-Boats" est d'abord affaire de moyens de détection : radars côtiers performants et avions équipés d'A.S.V.[10] Jusqu'en avril 1943, les Nos. 833 et 834 Squadrons de la Fleet Air Arm[11] stationnaient à Exeter pour assurer la couverture aérienne nocturne des eaux du sud-ouest de l'Angleterre. Ces deux unités avaient très mal à propos interrompu leurs opérations la veille de l'attaque du P.W. 323 en prévision d'un prochain embarquement sur porte-avions. Le prix payé par l'équipage de l'Eskdale fut de 15 marins tués, 10 disparus et 24 blessés ; on comptait heureusement 129 survivants (12 officiers et 117 marins).

JT, 2/10/15

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Sources
  • German Coastal Forces of World War Two, M. J. Whitley, A&AP, 1992, p67.
  • S-Boote – Les vedettes rapides de la Kriegsmarine (1939-1945), Jean-Philippe Dallies-Labourdette, Histoire & Collections, 2003, p127.
  • Naval Warfare in the English Channel 1939-1945, Peter C. Smith, Pen & Sword, 2007, p195-196 & 223.
  • Site web Chronik des Seekrieges 1939-1945, Jürgen Rohwer.
  • Plymouth War Diary, 1943, TNA ADM 199/633.
  • Messages Enigma ZIP/ZTPG/123602, 123582, 123600, 123634, 123599, 123988 & 123881, TNA DEFE 3/267.

 

 

[1] Elles arriveront à destination le 14 à 3h00.

[2] Décoré de la R.K. (croix de chevalier de la croix de fer).

[3] M.G.B. : Motor Gun Boat (canonnière à moteur).

[4] Situés entre le Lizard et Falmouth, les Manacles sont un ensemble de récifs qui s'étend sur environ un mille carré à l'est et au sud-est de Manacle Point. De nombreux bateaux se sont perdus au cours des âges sur ces rochers très largement submergés.

[5] Le W.P. 323 est le convoi d'importance découvert la veille par la reconnaissance aérienne allemande. Il constitue l'objectif premier de la 5. S-Flottille qui le rate de peu, mais tombe sur le P.W. 323.

[6] E-Boat ou Enemy Boat : nom générique que les Britanniques donnent aux vedettes rapides allemandes (lance-torpilles ou non).

[7] H.No.M.S. : His Norwegian Majesty's Ship.

[8] M.L. : Motor Launch (vedette de patrouille à moteur).

[9] Les quatre S-Boote ayant fait escale à Saint-Peter-Port rejoignent Cherbourg le soir même (21h30-23h30).

[10] A.S.V. : Air Surface Vessel (radar de veille air-mer).

[11] L'aéronavale britannique.