La Spezia, 13/14 avril 1943

Perte du Wellington 431-S, 14/15 avril 1943,
0h20, Mutterschied

Wellington Mk. X  HZ357  SE-S  No. 431 (R.C.A.F.) Sqdn., Burn

Sgt. L. Denby (Pilot, R.A.F.V.R. 1438344 ; tué)
P/O. A. J. McDonald (Nav., R.N.Z.A.F. 415335 ; prisonnier)
Sgt. W. A. W. Hunter (B/A., R.A.F.V.R. 1396315 ; tué)
Sgt. J. G. Adam (W/Op., R.A.F.V.R. 1029111 ; tué)
Sgt. J. J. O'Hagan (R/G., R.A.F.V.R. 1305606 ; tué)

Messerschmitt Bf 110  12./N.J.G. 4, Mainz-Finthen

Lt. Heinz-Martin Hadeball (F.)
Uffz. Adolf Volly (Bf.)

Après plusieurs combats indécis, un premier bombardier tomba sous les coups de la défense à 0h20. L'appareil, le Wellington 431-S, était monté par un équipage totalement novice[1] composé, bien qu'il appartienne à une unité canadienne, de quatre Britanniques et d'un Néo-zélandais. Le chef de bord, le Sergeant Lawrence Denby, 21 ans, volait en effet avec le Pilot Officer Alexander John McDonald, 32 ans, auparavant employé de banque à Wellington en Nouvelle-Zélande, le Sergeant William Alexander Wilson Hunter, 20 ans, de Gillingham dans le Kent, le Sergeant James Green Adam, 30 ans, d'Aberdeen en Ecosse et le Sergeant James Joseph O'Hagan, 21 ans, de Liverpool.

Le S-Sugar[2] emportait un brouilleur Mandrel destiné à perturber le fonctionnement des radars[3] de veille aérienne Freya, Mammut et Wassermann. Le Mandrel avait la réputation d'attirer les chasseurs de la Luftwaffe et, par cette nuit très claire, O'Hagan dans la tourelle de queue se concentrait sur la surveillance du secteur arrière. Hunter avait également quitté son poste à l'avant du Wellington pour s'installer sous l'astrodôme d'où il pouvait garder le dessus de l'appareil. Il ne retournerait derrière son viseur de bombardement qu'à l'approche de l'objectif. Un peu plus tôt, l'équipage avait croisé un chasseur de nuit et s'en était sorti sans dommage. Hélas, cette mauvaise rencontre, l'inexpérience des aviateurs (c'était la première opération du navigateur et de la plupart des autres[4]), ou peut-être l'absence du bombardier qui, allongé dans le nez, avait normalement la tâche de lire les cartes, entraînèrent le S-Sugar très au nord de la route prévue. Volant à 17 000 pieds (5200 m), sans doute trop loin (60 à 80 km) pour apercevoir les marqueurs de navigation jaunes qui cascadaient depuis minuit à la hauteur de Sarrebruck, le Wellington s'aventura, seul, au beau milieu du secteur défendu par le Nachtjagdraumführer 103, probablement dans la zone Dunaja "Zeisig" (serin)[5].

Il eut fallu beaucoup de chance pour que le Mandrel du S-Sugar soit exactement calé sur la fréquence du Freya de la station allemande. Celui-ci localisa sans difficulté le bombardier isolé et transmit ses mesures de distance et d'azimut au Würzburg-Riese rouge qui s'orienta pour accrocher sa cible. Le Würzburg-Riese bleu suivait pendant ce temps un Bf 110 de la 12./N.J.G. 4. Aux commandes du chasseur, le Leutnant Heinz-Martin Hadeball pilotait en aveugle d'après les consignes de cap et les données d'altitude et de distance que le J.L.O.[6] de la station énonçait par radiotéléphone. "Hannibal" Hadeball était un combattant aguerri : allant juste sur ses 22 ans, il dirigeait la 12. Staffel depuis le début du mois et avait remporté sa 6e victoire quatre nuits plus tôt lors d'une attaque sur Francfort. Derrière lui, l'Unteroffizier Adolf Volly, son Bordfunker, scrutait les équipements radio, en particulier les trois petits écrans cathodiques du radar de bord Lichtenstein B/C qui n'indiquaient encore aucun écho. Dans la salle d'opération au sol, le J.L.O. entouré de ses assistants, était penché sur sa table transparente où un spot de lumière rouge progressait vers l'est, poursuivi par un point vert qui gagnait peu à peu du terrain. Il ne cessait de calculer des corrections de trajectoire, aussitôt communiquées au chasseur. Après quelques minutes, Volly commença à distinguer des indentations sur les bases de temps vertes des écrans du Lichtenstein. Il prit alors la suite du contrôle au sol et guida son pilote jusqu'au contact visuel. A 5400 m d'altitude, Hadeball se glissa dans le sillage du bombardier, un peu en dessous, puis redressa légèrement son appareil et visa la tourelle arrière.

Carte : la perte du Wellington 431-S

La carte ci-dessus situe le point de chute du Wellington 431-S relativement aux quatre stations Dunaja du N.J.R.F. 103 ("Zeisig", "Kranich", "Kauz" et "Bergziege"). La route prévue par le Bomber Command figure en blanc, elle passe au-dessus de "Bergziege" ; au moment de l'interception, le Point B (49°09'N 09°20'E) n'est pas encore illuminé par les marqueurs jaunes des Pathfinders.

Sauf manœuvre exceptionnelle, le 431-S devait suivre une direction comprise entre 100°, parallèle au stream, et le sud-est, pour le rejoindre. Dans ce cas, il a été abattu au sortir de la zone contrôlée par "Zeisig", impliquant que la poursuite y avait eu lieu. La probabilité est ainsi très forte que le Lt. Hadeball ait été guidé depuis cette station.

A bord du S-Sugar, personne n'avait distingué la silhouette du Messerschmitt 110 sur le fond plus sombre de la terre et aucun avertissement ne précéda l'attaque. Alexander McDonald, le navigateur, se trouvait à sa table de travail lorsqu'un éclair bleu illumina le récepteur Gee placé à sa gauche sous le longeron d'aile. Le boîtier fut secoué par une explosion. La rafale avait touché la queue, mettant probablement hors de combat le mitrailleur arrière car on n'entendit plus O'Hagan à l'intercom. En rapide succession, trois autres rafales vinrent transpercer le bombardier. Les balles de 7,92 et les obus de 20 mm fracassèrent la structure géodésique sur la gauche du fuselage devant le navigateur – la table à cartes fut trouée de quelques projectiles – et à côté de l'opérateur radio. Le tir du chasseur avait surtout criblé le moteur et les réservoirs de l'aile gauche qui s'enflamma de bout en bout. Le Wellington partit en léger piqué et le pilote donna l'ordre d'évacuer. McDonald se déconnecta de l'intercom et du circuit d'oxygène, il s'assura de son parachute et quitta son poste de navigateur en passant devant Hunter qui enjambait le longeron d'aile pour revenir vers l'avant. Il traversa la cabine radio où Adam récupérait son parachute, puis déboucha dans le cockpit envahi d'un violent courant d'air. La trappe avant avait été proprement emportée ; un brasier dévorait l'aile gauche. Il vit encore le pilote qui tirait désespérément sur le manche bloqué à piqué. L'avion bascula alors en vrille, propulsant le navigateur dans le compartiment de nez, le plaquant contre la paroi, incapable du moindre mouvement. Après quatre ou cinq tours, l'avion en perdition se redressa et l'envoya voler tête la première sous le tableau de bord. Le choc lui fit perdre connaissance.

Beaucoup plus au sud, l'équipage d'un Stirling du No. 3 Group à 10 000 pieds (3000 m) observa loin sur sa gauche une lueur descendre vers le sol, exploser et s'abattre en deux morceaux.

Lorsqu'il revint à lui, McDonald tombait dans le vide les jambes en avant à 5 ou 6000 pieds de hauteur (1500-1800 m). Il avait la poignée d'ouverture du parachute dans la main gauche. La voile se déploya d'un coup sec, mais le harnais mal ajusté lui glissa le long du corps et il se retrouva retenu sous l'aisselle gauche par une seule sangle. Durant sa descente, il put voir deux incendies au sol avant d'atterrir sans autre encombre. Le S-Sugar s'était écrasé près de Mutterschied[7] avec son chargement de bombes incendiaires. L'épave brûla si complètement que les Allemands ne surent pas déterminer immédiatement le type de l'appareil, ni le nombre de ses occupants. La liste des tués transmise à la Croix-Rouge Internationale mentionna par la suite : "Denby L 1438344, O'Hagan J 1305606 et deux aviateurs inconnus". Les quatre hommes furent d'abord enterrés au cimetière de Simmern, puis ré-inhumés en avril 1948 au Rheinberg War Cemetery dans la tombe collective 18. E. 15-18.

Unique survivant de l'équipage, le Pilot Officer A. J. McDonald échappa aux recherches jusqu'au 21 avril quand il fut capturé à Kirchberg, une douzaine de kilomètres à l'ouest-sud-ouest de Mutterschied. Il avait eu 33 ans la veille[8]. Les autres bombardiers volant vers Heilbronn passèrent au large et Heinz-Martin Hadeball n'eut pas d'autre occasion cette nuit-là. Il devait revendiquer ses 8e et 9e victoires le 16/17 avril aux dépens des bombardiers attaquant Pilsen et Mannheim.

Hptm. Heinz-Martin Hadeball

Le Hptm. Heinz-Martin Hadeball, décoré de la Croix de Chevalier le 27 juillet 1944, termina le conflit avec un palmarès de 33 victoires en 350 missions de combat. Libéré des camps soviétiques en 1946, il fit sa vie dans la région de Mannheim et publia un livre de souvenirs en 1968. Il est décédé le 13 janvier 1996 à l'âge de 74 ans. On retrouve sur la toile certaines des photos dédicacées, le montrant avec toutes ses décorations, qu'il distribuait après-guerre.

 

JT, 10/5/10 (revu le 6/8/22)

 

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Sources
  • RAF Bomber Command Losses 1943, Bill Chorley, Midland Counties, 1996, p62 & 108.
  • Nachtjagd Combat Archive 1943 Part 1, Theo Boiten, Red Kite, 2018, p67.
  • O.R.B., No. 431 Sqdn., TNA AIR 27/1857.
  • Raid plots – Night [Forms 'Z'], April 1943, TNA AIR 14/3217.
  • Liberated Prisoner of War Interrogation Questionnaire, F/Lt. McDonald, TNA WO 344/197/1.
  • Loss Card, Wellington HZ357, RAF Museum[9].
  • Questionnaire for Returned Aircrew – Loss of Bomber Aircraft, F/Lt. McDonald, Directorate of History (Ottawa) 181.001 (D23).
  • Film Chef für Ausz. und Disziplin C.2027/I, via Tony Wood's Combat Claims & Casualties Lists.
  • Nachtjagdgeschwader 4 – Geschwaderbefehl Nr. 17/43 (25.4.43), via Chris Goss.
  • Site de la Commonwealth War Graves Commission.

On ne trouvera pas mention de la destruction du Wellington 431-S dans le livre de Heinz-Martin Hadeball, Nachtjagd, Schild, 1968. S'il reste un bon témoignage du quotidien des chasseurs de nuit allemands, ce récit s'éloigne considérablement des faits connus, ayant sans doute été rédigé "de mémoire", sans accès à des sources écrites.

 

 

[1] Ils avaient été affectés au 431 exactement vingt jours plus tôt.

[2] L'appareil était presque aussi neuf que son équipage, puisque le précédent S-Sugar (serial HE503) ne revint pas d'une attaque sur Duisbourg le 26/27 mars précédent. Le HZ357 n'avait participé qu'à une seule opération (Francfort le 10/11 avril, piloté par le Sgt. G. R. Y. Wood) : une "panne d'oxygène" l'obligea à faire demi-tour pour rentrer à une altitude trop basse qui permit à la Flak légère de lui trouer le fuselage et le stabilisateur gauche.

[3] Le mot "radar", d'origine US et qui ne s'est imposé dans le camp allié que vers la fin 1943, n'est évidemment pas usité dans la Luftwaffe où l'on parle plutôt de Fu.M.G. (pour Funkmessgerät ou appareil radio de mesure de distance).

[4] Denby avait sans doute accompagné une fois ou deux un équipage plus ancien comme "deuxième pilote", mais ces vols de familiarisation ne sont pas notés dans l'O.R.B. du 431.

[5] La station "Zeisig" tenue par la 8./Ln.Rgt. 213 (8e compagnie du régiment de transmission 213) se trouvait à la lisière d'une forêt au nord d'Urschmitt en Rhénanie-Palatinat.

[6] Jägerleitoffizier (contrôleur au sol).

[7] 27 km au nord-ouest de Bad-Kreuznach en Allemagne.

[8] Promu F/Lt. en captivité, McDonald rejoignit le secteur US le 20 mai 1945 après 21 mois au Stalag Luft III de Sagan, l'évacuation de janvier-février 45 vers le Stalag IIIA à Luckenwalde et sa libération par l'Armée Rouge le 22 avril.

[9] Les Loss Cards du Bomber Command sont également disponibles en ligne sur le site lancasterbombers.net qui se révèle de plus en plus comme une remarquable source de documentation.